Indemnisation des proches : le Conseil d’État précise les conditions de réparation

A la suite d’une vaccination contre la grippe H1N1, administrée dans le cadre d’une campagne d’urgence sanitaire, un homme développe des troubles physiques. L'Office national des accidents médicaux (Oniam) est alors condamné à lui verser la somme de 25 000 euros en réparation de son préjudice initial.

Par la suite, le patient noue une relation affective étroite avec un membre de son entourage, puis son état s’aggrave, provoquant de nouveaux troubles. Confrontée à cette situation, sa nouvelle connaissance sollicite une indemnisation en son nom propre pour les préjudices personnels résultant de cette aggravation. L’Oniam refuse toutefois d’accéder à cette demande, considérant qu’un proche apparu après l’événement initial ne peut prétendre à une telle réparation.

Saisi pour avis, le Conseil d’État précise les conditions dans lesquelles un proche peut obtenir une indemnisation personnelle.

Il rappelle d’abord que les proches d’une victime d’un dommage corporel en droit d'être indemnisée peuvent demander réparation de leurs préjudices personnels dès lors qu'ils entretiennent des liens affectifs étroits avec cette victime. Ce droit à réparation s'étend aux préjudices tant patrimoniaux (perte de revenus, frais engagés), qu'extra-patrimoniaux (préjudice moral, d’affection). 

Le Conseil d’État admet ensuite que le lien affectif entre le proche et la victime puisse être postérieur au fait dommageable initial. Toutefois, ce proche doit prouver l’existence de ce lien à la date de consolidation du dommage pour être indemnisé.

En cas d’aggravation ultérieure, seul le préjudice lié à cette aggravation peut être indemnisé si les liens ont été noués après la consolidation mais avant l’aggravation. Le juge administratif doit, dans tous les cas, apprécier ces préjudices en fonction de la nature et de la durée des liens affectifs. 

Enfin, le Conseil d’État énonce la règle de droit : ces principes valent pour tous les régimes de responsabilité, avec ou sans faute, ainsi que pour les dispositifs d’indemnisation fondés sur la solidarité nationale, dont le régime de l’Oniam prévu à l’article L. 3131-4 du Code de la santé publique.

⚖️ Conseil d’État, 9 novembre 2025, avis n° 500904

Accident médical non fautif : la gravité exceptionnelle suffit à l’indemnisation

Une patiente, atteinte d’un mégaœsophage idiopathique, subit une œsophagectomie. À la suite de cette intervention, elle présente des complications : une plaie trachéale nécessitant une thoracotomie, ainsi que des troubles digestifs et respiratoires persistants.

Estimant avoir été victime d’un accident médical non fautif, la patiente souhaite être indemnisée au titre de la solidarité nationale et, pour ce faire, se tourne vers l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM).

Les juges rejettent toutefois sa demande, considérant que les dommages subis ne présentaient pas un caractère d’anormalité au sens de l’article L. 1142-1, II, du Code de la santé publique. Bien que la patiente ait connu des conséquences plus graves qu’en l’absence d’intervention, la probabilité de survenue de ces complications n’était pas, selon eux, suffisamment faible pour justifier une indemnisation.

La patiente se pourvoit en cassation, faisant valoir que les juges avaient confondu les deux critères permettant d’apprécier l’anormalité du dommage : d’une part, la gravité des conséquences, et d’autre part, la probabilité de leur survenue. Elle soutient que la gravité exceptionnelle de ses séquelles devait, à elle seule, suffire à qualifier le dommage d’anormal, sans tenir compte de la fréquence statistique du risque. La Cour de cassation lui donnera raison.

Au visa de l’article L. 1142-1, II, du Code de la santé publique, la Haute Cour rappelle que le caractère anormal du dommage peut être reconnu soit lorsque l’acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé sans traitement, soit, à défaut, lorsque la survenue du dommage présentait une probabilité faible. En mêlant ces deux critères, les juges ont violé la loi. 

Cette décision réaffirme la distinction stricte entre les deux fondements de l’anormalité du dommage, condition essentielle de la réparation au titre de la solidarité nationale. Ainsi, la gravité exceptionnelle des séquelles doit suffire à caractériser l’anormalité, indépendamment de la fréquence statistique du risque.

L’oubli d’une compresse chirurgicale engage la responsabilité du praticien

Le 31 octobre 2016, une patiente subit une opération pratiquée par un chirurgien orthopédiste. L’intervention, destinée à traiter une instabilité chronique de l’épaule droite, semblait s’être déroulée sans incident. Pourtant, dans les mois qui suivent, la patiente présente des complications persistantes : fistule, douleurs et nécessité de nouvelles interventions.

Après plusieurs reprises chirurgicales et un suivi prolongé, une ponction effectuée le 3 juillet 2017 révèle la présence d’un textilome, c’est-à-dire une compresse oubliée lors de l’opération initiale. Son ablation est réalisée le lendemain par un autre chirurgien. 

Estimant avoir subi un préjudice important, la patiente assigne en justice le chirurgien orthopédiste ainsi que son assureur afin d’obtenir réparation. L’expertise médicale établit un lien direct entre la présence du textile oublié et les complications post-opératoires.

Au cœur du litige se trouve donc la question juridique de la faute médicale en cas d’oubli d’un corps étranger.

Saisie de l’affaire, la Cour d’appel rappelle qu’un tel oubli constitue une faute caractérisée, engageant la responsabilité du chirurgien sans qu’il soit besoin de démontrer une erreur technique ou une imprudence particulière.

Ainsi, même si le comptage des compresses relève du personnel infirmier, il appartient au praticien de s’assurer que ce contrôle a bien été effectué avant la fermeture de la plaie. Or, en l’espèce, le chirurgien orthopédiste n’apporte pas la preuve d’une telle vérification. Par ailleurs, la production d’une fiche opératoire imprécise, dépourvue des mentions essentielles permettant de la rattacher avec certitude à l’intervention en cause, ne lui permet pas non plus de s’exonérer de sa responsabilité.

En conséquence, le chirurgien et son assureur sont condamnés solidairement à indemniser la patiente pour les préjudices résultant de cette faute.

⚖️Cour d’appel de Rouen, 1ère chambre civile, 10 septembre. 2025, affaire n° 24/00008

Les troubles de l’élocution peuvent être indemnisés au titre du préjudice esthétique temporaire

A la suite d’une pose d’implants et de bridges pratiquée par un chirurgien-dentiste, une patiente a présenté des troubles d’élocution et de mastication pendant plus de 10 ans, jusqu’à ce qu’elle puisse bénéficier d’une nouvelle prothèse.

Après plusieurs expertises, la responsabilité du praticien avait été retenue pour l’ensemble des préjudices subis. Il avait ainsi été condamné au versement de provisions, dans l’attente de la consolidation de l’état de la patiente.

Toutefois, les juges n’avaient fait droit que partiellement aux demandes d’indemnisation de la victime considérant, d’une part, que les justificatifs produits pour les dépenses de santé étaient insuffisants et, d’autre part, que les troubles d’élocution ne relevaient pas d’un préjudice esthétique temporaire, mais d’une simple gêne fonctionnelle.


Saisie du litige, la Cour de cassation n’est pas de cet avis : 

1️⃣ Sur le premier point, elle rappelle le principe selon lequel le juge est tenu d’évaluer les préjudices dont il a expressément constaté l’existence sur la base du rapport d'expertise ;

2️⃣ Sur le second point, elle considère que les troubles de l’élocution, indépendamment de leur dimension fonctionnelle, peuvent également constituer un préjudice esthétique temporaire, dans la mesure où ils obligent la victime à apparaître physiquement altérée aux yeux des tiers. Par conséquent, rien ne s’oppose à ce que ces troubles soient indemnisés à un double titre : déficit fonctionnel d'une part, préjudice esthétique temporaire d'autre part.

⚖️ Cour de cassation, 1ère chambre civile, 24 septembre 2025, pourvoi n° 24-11.414

Grossesse : le défaut de prise en compte des antécédents engage la responsabilité du gynécologue

Dans le cadre d’un désir d’enfant, et après plusieurs fausses couches, une femme consulte un gynécologue-obstétricien fin 2017.

Une grossesse, suivie par ce même médecin, débute en juillet 2018. Mais le 24 novembre, à 22 semaines d’aménorrhée, la patiente est hospitalisée pour menace d’accouchement prématuré. Un cerclage échoue. L’enfant, non viable, est perdu.

Estimant que le gynécologue-obstétricien a commis des négligences dans le suivi de sa grossesse, la femme saisit la justice. Elle finira par avoir gain de cause. 

Appelée à trancher le litige, la Cour d’appel retient, au regard de l’expertise menée, que le praticien n’a pas pris en compte les antécédents médicaux de la patiente (fausses couches répétées) pourtant renseignés dans le dossier médical. Ainsi, l’arrêt prématuré de la grossesse aurait pu être évité grâce à la pratique d’un examen du col à 17 semaines d'aménorrhée et à l’application d’un traitement à ce stade.

Par ailleurs, le médecin n’a pas effectué d’examen clinique complet lors des consultations (pas de toucher vaginal, ni mesure du col, etc.) et aucune planification de suivi, ni échographie du deuxième trimestre n’a été pratiquée.

Dans ce contexte, et nonobstant l'absence de preuve de petites contractions et de pesanteurs pelviennes signalées lors de la seconde consultation, la Cour d’appel juge que les fautes commises par le praticien ont entraîné pour la patiente une perte de chance de mener sa grossesse à un seuil de viabilité évaluée à 70 %.

⚖️ Cour d’appel d’Amiens, 16 septembre 2025, affaire n° 24/02021

Absence d’examen : condamnation du médecin pour perte de chance

Le médecin, tenu d'une obligation de moyens, n'est pas obligatoirement fautif de ne pas avoir posé un diagnostic. En revanche, en s'affranchissant d'un examen clinique, il peut faire perdre au patient une chance de voir ce diagnostic posé. A ce titre, sa responsabilité peut être engagée.

Tel est le rappel que vient d’effectuer la Cour d’appel de Chambéry.

Dans cette affaire, un patient présentait une altération de son état général.

Avant d’être hospitalisé et de décéder 48 heures plus tard d’une endocardique liée à un staphylocoque, il avait fait appel à SOS médecins à deux reprises : la première fois, après un examen minutieux, le patricien avait rassuré le patient en évoquant un syndrome grippal ; la seconde fois, la visite fut rapide et limitée à un interrogatoire. Le diagnostic de tendinite, évoqué par le médecin régulateur, avait alors été retenu.

Les héritiers de la victime avaient alors saisi la justice, faisant valoir le retard de diagnostic de l’endocardite infectieuse qui, selon eux, avait différé la prise en charge efficiente du défunt. Reprenant l’expertise, ils affirmaient ainsi qu’un examen clinique, pratiqué par le second médecin et conforme aux règles de l’art, aurait permis de demander des premiers prélèvements ou une hospitalisation pour avoir accès à des premiers résultats quant à une potentielle infection.

Appelée à trancher le litige, la Cour d’appel de Chambéry suit ce raisonnement. Elle juge qu’un diagnostic plus précoce aurait pu éviter les complications médicales subies par le patient. Dès lors, en s’affranchissant d’un examen clinique, le second médecin a commis une faute qui a contribué à une perte de chance pour la victime évaluée à 30 %.

⚖️ Cour d’appel de Chambéry, 27 mai 2025, affaire n° 22/01717

Pose d'une prothèse mammaire sans sevrage tabagique = faute médicale

Le 2 juillet 2015, une femme subit dans un Institut de cancérologie une mastectomie totale associée à une reconstruction immédiate par pose d’implants mammaires. Quelques semaines plus tard, une zone de souffrance cutanée avec une petite croûte est observée sur le sein gauche. Une reprise chirurgicale est alors pratiquée pour retirer la prothèse exposée (sans reconstruction immédiate) et pour réséquer la plaque aréolo‑mamelonnaire.

A la suite de ces complications, la patiente saisit la justice. Fumeuse active, elle considère que l’établissement de soins a commis une faute en procédant à la pose d’une prothèse en l’absence de sevrage tabagique et que cette faute est à l’origine de son dommage. Elle rappelle en effet qu’en matière de chirurgie mammaire les troubles liés au tabagisme sont connus et redoutés.

Elle finira par avoir gain de cause.

Les juges retiennent la responsabilité de l’établissement de santé, jugeant que l’absence de consignes préopératoires sur un sevrage tabagique et la pose conjointe de la prothèse ont, dans cette affaire, contribué à 50 % au phénomène de nécrose cicatricielle. 

A ce titre, ils condamnent l’Institut et son assureur à indemniser la victime dans cette proportion.

⚖️ Tribunal judiciaire de Paris, 2 juin 2025, affaire n° 23/12526

Chute d'une passagère dans un bus : de l’importance de fournir des preuves !

Une femme monte dans un bus et valide son ticket. A l’occasion de ce voyage, elle affirme avoir chuté à l’intérieur du véhicule et s’être blessée (fracture du tibia) en raison de la vitesse excessive du chauffeur dans une courbe.

Cherchant à être indemnisée de son préjudice, elle assigne devant la justice le transporteur ainsi que son assureur afin de faire reconnaître la responsabilité du chauffeur.

Les juges refusent toutefois de faire doit à ses demandes estimant notamment qu'elle ne rapportait pas la preuve de sa chute dans le bus et qu'il était peu vraisemblable que le chauffeur ait poursuivi sa route sans réagir. 

Saisis du litige, les juges d’appel ne sont pas de cet avis après avoir constaté :

1️⃣ Que la victime avait produit plusieurs éléments : un ticket validé, la preuve d’une durée de trajet exceptionnellement courte témoignant d’une vitesse excessive (40 minutes au lieu des 49 minutes habituelles), des attestations du SAMU et du SDIS confirmant l’appel aux secours peu après son arrivée, ainsi que des témoignages de proches. 

2️⃣ Que le transporteur, de son coté, ne fournissait aucun élément de nature à établir une chute sur la voie publique (et donc hors du bus) tel que des vidéos, des données de vitesse, etc… Pour prouver ses dires, il se borne simplement à rapporter la version du chauffeur (qui depuis a quitté l’entreprise pour des raisons demeurées inconnues), lequel nie toute chute de la passagère dans son bus.

Dans ce contexte, les juges d’appel en concluent que la chute s’est bien produite dans le bus et, qu’à ce titre, elle constitue un accident de la circulation engageant la responsabilité du transporteur en application de la loi du 5 juillet 1985 (dite loi Badinter).  

⚖️ Cour d’appel de Pau, 17 juin 2025, affaire n° 24/00183

Accident de la route : pour priver d’indemnisation un conducteur présumé fautif, il faut prouver ses torts !

Au guidon de sa motocyclette, un homme est victime d’un accident de la route impliquant un autre véhicule.

Le procès-verbal de police, rédigé par un agent de police judiciaire arrivé après les faits, retient que le motard aurait franchi la ligne médiane.

Sur cette base, les juges excluent toute indemnisation des préjudices corporels du motocycliste, la faute de conduite de l’intéressé justifiant, selon eux, la suppression totale de ses droits.

Saisie du litige, la Cour de cassation censure cette décision. Elle rappelle :

1️⃣ D’une part, que les procès-verbaux des agents ou officiers de police judiciaire constatant une contravention font foi jusqu'à preuve contraire des seuls faits que leur auteur a personnellement constaté. Ainsi, en l’absence de l’agent de police lors de l’accident, son procès-verbal ne saurait faire foi, de sorte qu’il appartient au juge de caractériser une faute ayant contribué à la réalisation du préjudice pour écarter l’indemnisation de la victime ;

2️⃣ D’autre part, qu’en application de l’article 4 de la loi du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation (loi dite « Badinter »), chaque conducteur impliqué a droit à indemnisation sauf s’il a commis une faute ayant contribué à la réalisation de son préjudice. Autrement dit, il ne suffit pas de relever la gravité d’une faute de conduite pour exclure tout droit à réparation : encore faut-il démontrer que cette faute a effectivement provoqué le dommage subi.

L’affaire devra donc être rejugée à la lumière de ces observations.

⚖️ Cour de cassation, 2ème chambre civile, 19 juin 2025, pourvoi n° 23-22.911

Incendie domestique causé par une fuite de carburant : implication du véhicule même stationné dans un garage !

Logé dans une maison hors caserne louée par la gendarmerie, un gendarme avait souscrit, auprès d’une assurance, un contrat multirisque habitation qui excluait de ses garanties les dommages causés par tout véhicule assujetti à l’assurance automobile obligatoire.  

Alors qu’il remplissait le réservoir de sa moto dans le garage de son logement, une flaque d’essence s’était formée au sol. La mise en route automatique de la chaudière à gaz avait alors déclenché un incendie, provoquant la destruction totale du bien immobilier. 

Après avoir indemnisé le propriétaire de la maison et son assureur, l’État (locataire du bien) avait sollicité le remboursement des sommes auprès de l’assureur du gendarme. Les juges ont fait droit à sa demande, estimant que la moto n’était pas impliquée comme véhicule à moteur dans l’incendie, le sinistre résultant, selon eux, du déclenchement de la chaudière qui se trouvait à proximité.  

Saisie du litige, la Cour de cassation censure toutefois partiellement cette décision. 

Au visa de l’article 1er de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 (loi Badinter sur les accidents de la route), elle rappelle qu’un véhicule terrestre à moteur est impliqué dans un accident dès lors qu’il a « joué un rôle quelconque » dans la réalisation du sinistre.

Or, en l’espèce, force est de constater que la flaque d’essence qui s’est répandue sur le sol et qui a pris feu provenait des tuyaux de trop-plein de la moto lors du remplissage.

La moto a donc joué un rôle dans la survenance de l’incendie et est, à ce titre, impliquée dans l’accident. 

⚖️ Cour de cassation, 2ème chambre civile, 3 avril 2025, pourvoi n° 23-19.534

Chute dans un magasin : responsabilité de l’exploitant !

Alors qu’il tentait de saisir une bouteille de vin, le client d’un supermarché glisse sur du liquide au sol, d’autres bouteilles du rayonnage étant tombées. Durant sa chute, il se blesse au pouce droit.

Afin d’obtenir l’indemnisation de ses préjudices, il assigne devant la justice l’exploitant du magasin ainsi que la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM).

Par jugement du 6 février 2024, le tribunal judiciaire déclare l’exploitant du magasin entièrement responsable du préjudice subi.

Saisie du litige, la Cour d’appel confirme ce jugement. Elle rappelle que, conformément aux dispositions de l’article 1242 alinéa 1er du Code civil, chacun est responsable non seulement du dommage qu’il cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont il doit répondre, ou des choses qu’il a sous sa garde.

Ainsi, la responsabilité civile du gardien d’une chose (en l’occurrence, dans cette affaire, de l’exploitant qui est gardien des bouteilles placées en rayonnage) peut être engagée si la victime parvient à établir à la fois l'anormalité de la chose et le lien de causalité entre cette anormalité et le dommage qu'elle a subi. Il suffit en revanche qu'elle établisse que cette chose a été, en quelque manière et ne fût-ce que pour partie, l'instrument du dommage.

Or, en l'espèce, force est de constater que les bouteilles qui sont tombées étaient entreposées dans des conditions anormales, les cartons dans lesquels elles étaient placées étant éventrés. Cette anomalie est directement à l'origine du dommage dès lors que la chute de ces bouteilles a rendu le sol glissant et provoqué la chute de la victime.

Par ailleurs, l'exploitant ne saurait s'exonérer de sa responsabilité en invoquant :
1️⃣ Une force majeure, la chute de bouteilles depuis un carton endommagé ne présentant aucun caractère d'imprévisibilité ou d’irrésistibilité ;
2️⃣ La faute de la victime, son comportement ne revêtant ici aucun caractère fautif, ni aucun lien de causalité avec la chute des bouteilles.

La responsabilité pleine et entière de l'exploitant, en sa qualité de gardien de la chose à l'origine du dommage, est donc retenue.

⚖️ Cour d’appel de Douai, 3ème chambre, 24 avril 2025, affaire n° 24/02031

Quand l’absence de dossier médical informatisé devient une erreur médicale

Deux jours après avoir subi une cystectomie réalisée au sein d’un établissement privé, un patient, toujours hospitalisé, présente un état fébrile justifiant une antibiothérapie. 

Après sa sortie, son état se dégrade et il effectue alors, pendant trois semaines, des allers/retours au sein du même établissement avant de se rendre au CHU le plus proche de chez lui où lui est diagnostiquée une compression médullaire sur spondylodiscite, justifiant la réalisation d'une laminectomie. Le patient en conservera une paraplégie.

Dans le cadre de la procédure judiciaire qu’il entame, le caractère nosocomial de l'infection dont il a été victime est reconnu et les dommages en résultant sont donc mis à la charge de l’Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM). 

Les juges retiennent toutefois un manquement à l’encontre de l’établissement privé de soins auquel ils reprochent une absence de dossier médical informatisé entre les services ayant fait perdre à la victime 75% de chance d'éviter le dommage.

Mécontent, l’établissement se défend et conteste notamment l'existence d'un lien de causalité entre le manquement invoqué et le dommage. En vain.

Saisie du litige, la Cour de cassation confirme la décision des juges. Elle juge ainsi que l’absence de dossier médical informatisé entre les services au sein de la structure a été préjudiciable à la victime car elle n'a pas permis une information complète des praticiens s'étant succédé (notamment quant au diagnostic d'une infection bactérienne multi-résistante), ce qui, ajouté à l'absence de rédaction d'un compte rendu d'hospitalisation, a abouti à une prise en charge insuffisante de la gravité de l'état de santé du patient.

Un arrêt qui rappelle plus largement que les établissements peuvent donc voir leur responsabilité engagée pour défaut d’organisation des soins.

⚖️ Cour de cassation, 1ère chambre civile, 14 mai 2025, pourvoi n° 23-23.884

Accident de la route : même sans lien de parenté, un proche peut être indemnisé après décès

Un piéton est mortellement blessé dans un accident de la circulation impliquant un véhicule conduit par un automobiliste en état d’ivresse.  

Reconnu coupable par le tribunal correctionnel du chef d'homicide involontaire par conducteur d'un véhicule terrestre à moteur sous l'empire d'un état alcoolique, l’automobiliste est également déclaré responsable des conséquences dommageables de l'accident. A ce titre, il est condamné à verser aux parents de la victime, ainsi qu’à ses frère et sœur, diverses sommes en réparation de leur préjudice d’affection.

Les juges déboutent néanmoins les 18 autres parties civiles de leur demande en indemnisation, faute pour ces dernières de démontrer la réalité des liens de parenté qui les unissaient avec le défunt.

Cette décision est confirmée en appel mais censurée par la Cour de cassation. 

Les Hauts magistrats rappellent en effet que l’action en réparation du dommage causé par un crime ou un délit appartient à celles et ceux qui ont personnellement souffert du dommage causé directement par l'infraction. A ce titre, le droit à réparation né du préjudice d’affection dans ce contexte n’est pas limité aux seuls parents au sens strict. Il peut également être reconnu à l’ensemble des proches (famille éloignée, amis, etc.) dès lors que ces personnes rapportent la preuve des liens affectifs étroits qui les lient à la victime. 

En l’espèce, l’affaire devra donc être rejugée.

⚖️ Cour de cassation, chambre criminelle, 13 mai 2025, pourvoi n° 24-83.720

Les conditions d’indemnisation du préjudice d’anxiété lié à l’amiante en cas de transfert d’entreprise sont précisées

Le préjudice d'anxiété, qui ne résulte pas de la seule exposition à un risque créé par l'amiante, est constitué par les troubles psychologiques qu'engendre la connaissance de ce risque par les salariés. Ainsi, il naît, pour le salarié qui ne bénéficie pas de l'allocation de cessation anticipée d'activité, à la date à laquelle celui-ci a eu connaissance du risque élevé de développer une pathologie grave résultant de son exposition à l'amiante. 

Telles sont les précisions que vient d’apporter la Cour de cassation dans une récente décision. Explications pratiques.

Dans cette affaire, le salarié d’une usine exploitée successivement par plusieurs sociétés avait saisi, avec d’autres, la juridiction prud’homale, notamment en indemnisation d’un préjudice d’anxiété et d’un préjudice lié au bouleversement subi dans ses conditions d’existence.

Le Conseil de prud’hommes, puis la Cour d’appel, avait fait droit à sa demande estimant que l’intéressé pouvait agir indifféremment contre le nouvel employeur ou contre l’ancien, les deux étant tenus in solidum des conséquences des manquements de l’ancien employeur aux obligations résultant du contrat de travail.

Ainsi, pour les juges, le salarié pouvait parfaitement ne mettre en cause que le dernier employeur, celui-ci gardant la possibilité de se faire rembourser par l’employeur précédant la fraction des sommes correspondant à la période antérieure au transfert représentant le temps pendant lequel le salarié était à son service. 

Saisie du litige, la Cour de cassation n’est pas de cet avis. Au regard des pièces produites, elle note que jusqu’au 1er septembre 1988, le salarié n’était pas en mesure d’être suffisamment informé sur les risques auxquels il avait été exposé dans sa vie professionnelle pour en avoir une conscience libre et éclairée, et que c’est à cette date que le contrat de travail avait été transféré au nouvel employeur. Dès lors, force est de constater que le préjudice est né postérieurement au transfert, de sorte que l’ancien employeur ne peut être tenu responsable. 

Ainsi, le préjudice d’anxiété qui, selon les Hauts magistrats, est directement lié à la connaissance du risque par le salarié, ne peut relever que de la responsabilité de l’employeur en fonction à cette date. L’ancien employeur ne saurait être tenu in solidum si cette prise de conscience intervient après le transfert des contrats.

⚖️ Cour de cassation, chambre sociale, 29 avril 2025, pourvoi n° 23-20.501

Accident de la circulation : le plafond de garantie n’est opposable à l’assuré que s’il est informé de son contenu !

Dans cette affaire, la victime d'un accident de la circulation avait sollicité la réparation de son préjudice corporel auprès de son assureur. Le tribunal lui avait alloué une indemnité à ce titre. 

Ultérieurement et à la suite de la détérioration de son état de santé, la victime avait demandé des dommages et intérêts complémentaires. En réponse, l’assureur lui avait opposé un plafond de garantie.

Pour sa défense, la victime avait alors fait valoir que le plafond de garantie invoqué par l’assureur ne lui était pas opposable puisqu'elle n'avait jamais signé les conditions générales du contrat d'assurance, ni la fiche contenant les clauses particulières.

Mais les juges, saisis du litige, écartent cet argument, faisant valoir qu'à supposer que le plafond de garantie n'ait pas été porté à la connaissance de l'assuré lors de la souscription du contrat, le premier jugement prouve que l'existence de ce plafond a bien été évoquée par voie de conclusions échangées entre les parties et que l'assuré en a eu connaissance à cette occasion. Dès lors, selon eux, l'assureur est bien fondé à opposer ce plafond de garantie

Ce n’est toutefois pas l’avis de la Cour de cassation qui, au visa des articles L. 112-2, L. 112-3 et L. 112-4 du Code des assurances, censure cette décision, rappelant que pour être opposable à l’assuré, une clause de limitation de garantie doit avoir été portée à sa connaissance au moment de son adhésion à la police ou, tout au moins, antérieurement à la réalisation du sinistre.

Ainsi, en se déterminant par des motifs impropres à établir que l'assureur rapportait la preuve, lui incombant, que la victime avait eu connaissance, avant l'accident, du montant du plafond dont cet assureur se prévalait, les juges n’ont pas donné de base légale à leur décision.

L’affaire devra donc être rejugée.

⚖️ Cour de cassation, 2ème chambre civile, 13 février 2025, pourvoi n° 23-17.739

Amiante : le préjudice moral indemnisé par le FIVA inclut le préjudice d’anxiété

Un ancien salarié, qui exerçait le métier de mécanicien industriel, déclare une maladie pleurale qui va être prise en charge par la caisse d’assurance maladie au titre du tableau n° 30 des maladies professionnelles (affections consécutives à l’inhalation de poussière d’amiante).

Cinq mois plus tard, Il accepte l’offre d'indemnisation présentée par le Fonds d’Indemnisation de Victimes de l’Amiante (FIVA) pour un montant de 22 519 €, dont 15 400 € au titre de l'indemnisation de son préjudice moral.

Puis, l’intéressé saisit le Conseil de prud'hommes d'une demande tendant à la condamnation de son employeur à la réparation de son préjudice d'anxiété. En vain. 

Le salarié qui justifie d'une exposition à une substance nocive ou toxique telle que l'amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité et obtenir réparation.

Toutefois, rappelle la Cour de cassation, il résulte de l'article 53 de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000, que l'acceptation de l'offre présentée par le FIVA rend irrecevable toute action juridictionnelle future en réparation du même préjudice engagée par la victime à l'encontre de son employeur.

Dans ce contexte, elle précise par ailleurs que l'indemnisation d'un préjudice moral répare également le préjudice d'anxiété.

Par conséquent, la demande d'indemnisation du préjudice d'anxiété, postérieure à une déclaration de maladie professionnelle, présentée par la victime à l'encontre de son employeur, doit, en l’espèce, être jugée irrecevable, s'agissant de la réparation d'un préjudice déjà indemnisé du fait de l'acceptation de l'offre du FIVA.

⚖️ Cour de cassation, 2èmechambre civile, 27 février 2025, pourvoi n° 22-21.209

Aggravation d’un préjudice : du droit d’être indemnisé !

En 1987, un enfant est victime d’un accident de la circulation. 

Vingt-neuf ans plus tard, faisant valoir que cet accident lui avait causé des blessures initiales plus importantes que celles décrites par un rapport d'expertise médicale amiable réalisé en 1992, et invoquant une aggravation de son état de santé depuis 2015, Il obtient la réalisation d'une mesure d'expertise médicale judiciaire.

A la suite du dépôt de ce nouveau rapport concluant à un lien manifeste entre l’accident, les séquelles et leur aggravation, la victime assigne devant les tribunaux l'assureur du véhicule impliqué en indemnisation de ses préjudices initiaux et aggravés.

Mais les juges rejettent la demande, reprochant à l’intéressé de ne pas rapporter la preuve de l’indemnisation de son préjudice initial, l’accord transactionnel conclu à l’époque demeurant introuvable.

Saisie du litige, la Cour de cassation censure cette décision. Elle rappelle qu’il résulte du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime qu'une demande en réparation de l'aggravation d'un préjudice doit être accueillie dès lors que :
1️⃣ la responsabilité de l'auteur du dommage est déterminée ;
2️⃣ le préjudice initial est établi (le fait, en revanche, qu’il soit indemnisé important peu).  

En conséquence, la victime ne saurait, en l’espèce, être déboutée de sa demande puisque, d'une part, l'implication du véhicule assuré n’est pas discutée et, d'autre part, que les préjudices initiaux qu’elle a subis ont fait l'objet d'une expertise médicale amiable (réalisée en 1992) puis d'une expertise médicale judiciaire (en 2017) ce dont il résulte que le préjudice initial est déterminé. 

⚖️ Cour de cassation, 2ème chambre civile, 3 avril 2025, pourvoi n° 23-18.568

Indemnisation d'un accident médical et APA : la Cour de cassation distingue période échue et période à échoir

A la suite d’une opération de la cataracte, une patiente, déjà non-voyante d’un œil, perd l’acuité visuelle de l’autre, malgré les soins reçus.

Reconnaissant l’existence d’un accident médical non fautif, l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) propose une indemnisation refusée par la victime.

Saisis du litige, les juges valident le droit à indemnisation de la patiente par la solidarité nationale au titre de l’accident médical subi et lui allouent notamment 618 201,02 € au titre de l’assistance par une tierce personne permanente, en refusant de déduire, sur la période à échoir de cette indemnité, l’Allocation Personnalisée d’Autonomie (l’APA) perçue par la victime.

L’ONIAM conteste ce dernier point. À l'appui de sa démarche, il soutient que l’APA doit être déduit de l'indemnisation due par l'ONIAM à la victime d'un accident médical non fautif au titre de l'assistance par une tierce personne à titre permanent pour toute la durée d’indemnisation. Ainsi, en refusant de déduire l’APA de la période à échoir, les juges ont, selon lui, violé le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime. En vain.

L’argument est rejeté par la Cour de cassation qui confirme que l’APA est une indemnité qui doit être déduite de l’indemnisation de l’ONIAM, mais uniquement pour la période où elle a été effectivement versée.

Cette prestation ne peut en effet être déduite au-delà de la date à laquelle elle a été attribuée car, rappelle la Haute juridiction :
1️⃣  La victime n’est pas tenue de renouveler sa demande d’attribution ;
2️⃣ Les juges demeurent libres de choisir entre une indemnisation sous forme de capital ou de rente ;
3️⃣ La victime ne doit pas être contrainte se trouver pour l’avenir contrainte de produire régulièrement des justificatifs relatifs à la perception ou non d’une prestation.

 ⚖️ Cour de cassation, 1ère chambre civile, 29 janvier 2025, pourvoi n° 23-21.419

Accident de ski cross, responsabilité et force majeure

A l’occasion d’une compétition de ski cross, deux compétiteurs chutent lors d’une course alors qu’ils se trouvaient côte à côte. L’un d’eux subit une fracture du rachis cervical et reste tétraplégique après l’accident.

Estimant que sa chute avait été provoquée par le choc de ses skis avec ceux de son concurrent, la victime agit en responsabilité contre ce dernier et son assureur afin notamment d’obtenir la réparation intégrale de son préjudice corporel.

Mais les juges le déboutent de ses demandes, considérant que l’accident revêt la nature d’un cas de force majeur. A l’appui de leur raisonnement, ils font valoir que « si les skis du concurrent ont nécessairement joué un rôle causal dans l'accident, le positionnement de la victime (qui n’a pas commis de faute) n'en a pas moins constitué, par son imprévisibilité, son extériorité et son irrésistibilité, liée à l'impossibilité qui était celle du concurrent de pouvoir manœuvrer lorsqu'il était en l'air pendant le saut, une cause étrangère exonératoire ». 

La victime proteste, arguant que, dans une telle compétition sportive, le simple positionnement non rectiligne d’un concurrent n’est pas imprévisible.

Cet argument emporte l’approbation de la Cour de cassation qui censure la décision rendue par les juges.

La Haute juridiction juge ainsi que la simple modification de trajectoire d’un skieur engagé dans une épreuve de ski cross ne constitue pas un événement imprévisible pour un autre concurrent. Cette situation ne présente donc pas tous les caractères de la force majeure et ne permet pas d’exonérer l’auteur du dommage de sa responsabilité.

⚖️ Cour de cassation, 2ème chambre civile, 19 septembre 2024, pourvoi n° 23-10.638

Accident de la circulation : la nullité du contrat d’assurance n’est pas opposable aux victimes

Au volant de sa voiture, une femme provoque un accident de la circulation dans lequel seul son véhicule (assuré par son époux) est impliqué. A l’occasion du choc, ses enfants, passagers assis sur la banquette arrière, sont gravement blessés.

Afin d’obtenir l’indemnisation de leurs préjudices, les enfants (représentés par un administrateur ad hoc) et le père (victime par ricochet) assignent devant la justice la conductrice, l’assureur et le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO).

Mais l’assureur se défend et s’oppose à sa garantie faisant valoir la nullité du contrat pour fausse déclaration 

En appel, les juges sont sensibles à cet argument. Ils retiennent la nullité du contrat d’assurance mais la juge inopposable aux passagers victimes. En revanche, ils estiment que cette nullité est bien opposable au père, ce que ce dernier conteste.

En pratique, se posait donc la question de savoir si, au regard du Code des assurances, la nullité d’un contrat d’assurance peut être opposée à une victime par ricochet, auteur de la fausse déclaration intentionnelle à l’origine de cette nullité.

Saisie du litige, la Cour de cassation répond par la négative, rappelant que, conformément aux directives européennes (et notamment à la directive 2009/103/CE), la nullité d’un contrat d’assurance résultant de fausses déclarations intentionnelles n’est pas opposable aux victimes, y compris à une victime par ricochet, sauf en cas d’abus de droit.

Dès lors, la nullité du contrat d’assurance invoquée par l’assureur dans cette affaire ne peut être opposée ni à l’époux, ni au FGAO, ni à la caisse primaire d’assurance maladie, subrogée dans les droits des victimes.

⚖️ Cour de cassation, 2ème chambre civile, 23 janvier 2025, pourvoi n° 23-15.983